DANIEL ROY

Tu me fais de l’effet de serre
Un livre ouvert sur le monde

MA COUR DE CRÉATION

LES FRUITS DE SA PASSION

Pour le plaisir et afin de respecter le poète qu’est Daniel Roy, j’aimerais vous le présenter de la façon dont je vois cet être affranchi de ses rôles pour habiller sa réalité. Issu du domaine du rêve ou de la métaphore, cet écrivain nous invite à le connaître avec le cerveau droit. Donc…
  
 
Par une journée caniculaire du mois d’août, c’est l’heure de pointe avec son trafic habituel ponctué d’engueulades et de klaxons. Assis à l’intersection de deux artères de la grande ville, un poète se découpe dans la fumée bleue issue des pots d’échappement. Devant le spectacle de ce feu roulant d’injures, il range cahier et crayon dans son sac à dos et en retire une orange. Son geste s’arrête.
 
 Les boucles de ses cheveux se mettent à danser comme un essaim d’abeilles qui ne savent plus quelle direction prendre. Une idée germe dans son esprit et comme il aime désarmer les gens, marginalité oblige, il s’empresse de trouver son canif. Un grand sourire illumine son visage. Image paradoxale parmi les mines grises et agressives. Il ouvre grand son sac à dos et en sort une quantité incalculable d’oranges (cadeau qu’il s’est offert ce matin pour célébrer ses cinquante ans). La cinquantaine… «Sain quand t’aimes» se dit-il intérieurement. À l’aide de son canif, il grave un mot ou deux sur la pelure charnue des fruits. Des mots tirés de ses poèmes, de ses croyances, de sa philosophie de la vie (Daniel, écris quelques mots clés pour toi). Puis, il se retourne vers les automobilistes impatients et écœurés de jouer du pare-chocs pour se sortir de cette mélasse. À travers les voitures, les vélos, les piétons, les squeegees, il se faufile et propose ses oranges dédicacées. Certains remontent leur fenêtre et refusent cette offrande, d’autres feignent de ne rien voir, d’autres acceptent le fruit rafraîchissant avec gratitude. Comme il n’a rien à prouver à personne, il respecte l’homme dans ce qu’il a de plus sacré, son libre arbitre.
 
Des kilomètres durant, sans se fatiguer, il marche jusqu’à la banlieue. Il choisit un parc et s’assoit face au soleil couchant. Comme un gamin heureux de surprendre les adultes, il dispose ça et là des clémentines, des tangerines, des oranges et même quelques pamplemousses. Son sac à dos semble en contenir une réserve inépuisable. Bien qu’absorbé par le va-et-vient des passants, il entend le son subtil d’un battement d’aile autour de lui. Un monarque. Ils sont si rares cet été. Le poète reçoit cette présence comme un cadeau. Il pèle une orange, la décortique et en présente une partie au papillon. Les passants le regardent avec des froncements de sourcils. Daniel ne s’en formalise pas. Des gouttelettes du nectar jaillissent et imprègnent les ailes du monarque. L’homme est heureux de partager son repas et invite le papillon, pendant son voyage vers l’autre bout de l’Amérique, à semer un message de respect de la vie.
 
Au moment où le papillon prend son envol, une femme prend une clémentine et s’assoit près du poète. Elle lui demande pourquoi il donne des fruits à n’importe qui. «Personne n’est n’importe qui et puis, l’orange, c’est ma couleur porte-bonheur et je voudrais que la planète entière soit heureuse. J’offre ce que j’ai de meilleur en moi et actuellement, ce sont mes mots et ma couleur.»
 
Bohème, indépendant, le cœur ouvert, l’écrivain ramasse son sac à dos et le pouce tourné vers l’est, il traverse Sherbrooke, Cookshire, Saint-Venant-de-Paquette où il sème l’amour des mots, puis il utilise tous les transports qui s’offrent à lui jusqu’aux abords de l’Atlantique.
 
Main en visière, il scrute l’horizon. Un vieux loup de mer troque son voilier contre quelques oranges. Le poète a tout son temps et ne se veut surtout pas un touriste passif. Son action souvent intériorisée sert de moteur à ses expéditions. Il déploie la grand-voile à l’effigie de sa sensibilité et il ne craint pas de gîter, puisque peurs et doutes sont abandonnés sur l’ancien continent.
 
La mer lui parle depuis les profondeurs, aiguisant ainsi son intuition, sa flexibilité et sa confiance dans le mouvement. Mouvement des marées, des vagues, des remous. Satisfait d’être en communion avec la force de l’eau sous, autour et surtout en lui, il serait même prêt à marcher sur l’eau, tellement il se sent sûr de lui…
 
Au crépuscule et à l’aube, moments divins entre tous, il dépose dans la lumière du soleil ses souvenirs. À la surface de l’eau, il dénonce les rides de tristesse et de détresse. À la dérive, il jette les apparences et sous les archétypes des abysses, il abandonne ses vieux schèmes. Il ne garde que l’onde vibrante dans laquelle il se permet de rêver. Rêver l’infini dans chaque être humain et découvrir les étoiles dans les yeux de qui veut bien regarder le ciel de temps en temps. Rêver de lire les mots des autres – de partager les siens.
 
Il écoute les chants des baleines et apprend d’eux. Il écoute les cris des albatros et des goélands et apprend d’eux. La vie engendre la vie. La vie guérit la vie. Juste à l’écouter, à ouvrir le cœur et à échanger.Le poète aux oranges, à travers son voyage, apprend le dépouillement. Afin de voir clair dans l’univers, il se dévêt des lourdeurs, des rôles que lui a prêtés la vie pour découvrir son essence.Arrivé au port, il danse et chante. Sur ses oranges, il veut graver des notes de musique mais, dans son sac à dos, il n’a plus d’oranges. À peine un étonnement avant de s’apercevoir qu’il rayonne sa couleur qui tire maintenant sur l’OR et ses mots qui s’envolent comme des ANGES.
 
 «L’œuvre est à l’œuvre ! »
 
 La plage blanche
(…)
Je n’attends que toi
À la peau de fine mandarine
Mais tu es repartie
Ne laissant qu’une page blanche

 in Désinvolte
 
 
Merci Daniel, je souhaite que ta couleur soit la clé de tous tes rêves.
Manon Robert, 22 octobre 2004