©Robert Cyr
PRIME TIME
L’amour prime en prime
Moi, Daniel Roy, ça été un peu mon petit frère, mon poète gamin et taquin, la petite tête de Prévert, l’impolitesse et la leçon contournée.
Je le dis au passé parce que la vie fait qu’il ne me reste que quelques jours à vivre et qu’il est difficile de mentir à soi ou aux autres; au fond comment ne pas aller à l’essentiel. Quand le bonhomme de la mort frappe à ta porte, tu peux difficilement ne pas la lui ouvrir, parce qu’il la franchirait tout seul. C’est ce qui m’arrive. Mais quand Daniel arrive avec son projet, avec ses yeux de rêve et de poésie, et frappe à ma porte, je me dis voilà une belle venue, voilà un joli bonhomme, et toute la grande dame des songes entre avec lui, m’envahit, vient me réjouir.
Moi, qui ai toujours écrit, tant et tant, j’ai toujours eu horreur de la littérature, de l’édition, des auteurs, des grands prix. J’écris et je me cache. Chaque jour. Mais Daniel, lui, frappait à coup d’éditions, à droit d’auteur, à droit de dire la vie qu’on prend par le chignon, la vie qu’on goûte comme une fleur champêtre, celle anodine aux passants préoccupés. Il donnait ses textes, il avait cette générosité qui me manque.
Lui, je le vois parler aux jeunes dans les écoles, jouer avec eux sur les mots écrits, tels qu’ils sont là, sortis de l’un de ses recueils ou de ces têtes enfantines porteuses de germes colorés, d’éclats insolites. Les questionner ces mots, les hasarder sur une table, les regarder, les reprendre, leur donner une gentille course libre, les partager. Lui, le passionné, l’émerveillé, quelque chose qui ressemble au vieux copain Desnos, il les fait virevolter jusqu’à ce qu’il tombe dans la bouche gourmande des Nymphes et des Satyres que nous sommes.
Allons, Daniel, petit poète dans mon cœur, n’aie pas peur. Poursuis-le ton rêve, entête-toi, parce que des poètes il n’y en a plus beaucoup.
François Rousseau, 13 juillet 2003